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AI : Quatrième révolution industrielle ou changement civilisationnel

AI : Quatrième révolution industrielle ou changement civilisationnel

On compare l’avènement de l’intelligence artificielle à la quatrième révolution industrielle. Mais on peut aller plus loin et évoquer une rupture, un changement radical de nos sociétés, paradigmes et systèmes. Selon Bernard Norlain, « c’est entendu, l’intelligence artificielle (IA) a investi tous les secteurs de notre société. Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau développement, une nouvelle application soient annoncés. Un sujet polymorphe auquel plus personne ne peut échapper, tant il est devenu omniprésent. (…) S’agissant de l’élaboration d’une vision prospective, on discerne bien à la lecture de ces articles qu’elle est faite de beaucoup plus d’incertitudes et de questionnements que d’affirmations. Certes, tout le monde s’accorde pour dire que l’IA sera de plus en plus présente dans tous les domaines depuis la prise de décision jusqu’au champ de bataille en passant par le cyberespace, la maintenance et les ressources humaines. Mais l’IA constitue-t-elle une véritable rupture technologique, plus encore révolutionne-t-elle l’art de la guerre ou bien n’est-elle qu’une évolution technologique certes importante mais semblable à d’autres évolutions connues dans le passé ? Quel degré d’autonomie sera accessible et acceptable dans les prochaines années et d’ailleurs comment définir l’autonomie ? La machine possédera-t-elle un jour la capacité d’excéder les capacités cognitives des êtres humains ? (…) Entre le fantasme de la robotisation triomphante, du mariage des algorithmes biochimiques et des algorithmes électroniques dépouillant l’homme de la maîtrise de son destin, l’optimisme des positifs qui pensent que l’humain sera toujours le maître des algorithmes, comment faut-il régler ou tenter de régler le curseur ? Faut-il voir les algorithmes comme une bombe à retardement du fait de leur opacité et de la difficulté de pouvoir « expliquer » les décisions prises par des systèmes autonomes ? » Les avis sont nombreux. Pour certains, l’IA nous rendra plus humain ; pour d’autres elle peut être synonyme de perte de pouvoir de décision et de hasard qui fait de l’homme ce qu’il est. L’avenir et les décisions prises aujourd’hui auront irrémédiablement un impact sur notre futur que nous dessinons aujourd’hui.

L’intelligence artificielle est une nouvelle révolution dont on semble encore assez mal mesurer les enjeux et les bouleversements qu’elle induit. Pouvez-vous nous les expliquer ?

Pour Jean-François Gomez, Senior Innovation and Business Development Manager chez Microsoft, le constat est clair : «  L’intelligence artificielle est une révolution. Si la technologie n’est pas nouvelle, elle a néanmoins connu ces derniers temps une très forte accélération. L’IA doit être mise au service de l’ingéniosité humaine. L’IA est un outil d’augmentation des capacités cognitives se nourrissant de données qui permettra, dans nos vies et nos carrières, d’acquérir en quelque sorte un « super-pouvoir » et donc, par ricochet, des « superresponsabilités. Face à ces enjeux, qui concernent chacun d’entre nous, quelle que soit notre situation, nous avons le devoir de sensibiliser tout le monde à trois éléments majeurs : La sécurité, le respect de la vie personnelle et l’éthique. Avec la multiplication et l’exploitation des données notamment par les algorithmes d’intelligence artificielles les projets peuvent rapidement présenter des croissances exponentielles. Aussi les entreprises qui ont pris le virage de l’IA avec succès hériteront de cette croissance exponentielle et les premières qui se seront positionnées sur ce sujet feront la course en tête probablement pour longtemps. Actuellement on assiste à un affrontement commercial au détriment, parfois des responsabilités que j’évoquais plus haut, dans le seul but de capter toujours plus de marchés. L’IA amplifie nos capacités cognitives et donc par conséquent elle augmente nos biais. Notre vigilance devra donc être toujours très élevée. Il faut avoir conscience que l’IA est avant tout un mécanisme d’apprentissage. La performance est fonction principalement du volume de données utilisé pour l’entrainement. De plus le système d’apprentissage est non réversible  : une machine ne peut pas désapprendre. Ces enjeux n’étant pas connu de tous, certaines entreprises risquent d’en profiter pour se former au détriment de leurs clients ou de leurs utilisateurs, en aspirant la connaissance de ceux-ci à leurs dépens. Il ne s’agit pas d’un risque hypothétique puisque ces dérives sont déjà constatées. Quand on utilise une IA, on la forme. Autant donc éviter de former celui qui un jour sera peut-être son propre compétiteur. Les entreprises et les consommateurs doivent donc être, sinon éduqués, au moins sensibilisés. Par exemple, si on utilise un moteur de recherche pour poser une question et y trouver réponses, l’ensemble des échanges viendra nourrir le système de l’intelligence artificielle qui emmagasinera de l’information au point, un jour, d’en savoir plus sur nous que nous-même. Et par risque de méconnaissance et de non-maturité, nous nous ferons piller de ce que nous sommes. L’IA utilisée à mauvais escient tuera le hasard. Or, c’est bien celui-ci qui fonde notre humanité. Il est important d’apprendre à débrancher son GPS, à ne pas suivre les recommandations des moteurs de recherche en permanence et de faire preuve d’initiative pour toujours laisser une place au libre choix. Ce sujet n’en n’est qu’à ces débuts. Si on fait une analogie avec l’histoire de l’externalisation des fonctions physiques, nous n’en sommes qu’à l’invention de la roue, et il est impossible de prédire aujourd’hui où ces développements nous conduirons demain. Il est urgent de sensibiliser l’ensemble de la société sur le sujet, car nous utilisons déjà aujourd’hui tous l’IA au quotidien. Nous devons donc le faire avec conscience notamment pour ne pas en avoir peur et surtout pour pouvoir l’utiliser afin de créer de nouvelles opportunités ».

Pour Jean-Philippe Desbiolles, Vice-président Cognitive Solutions chez IBM France, le tournant de l’IA est quasi-civilisationnel. « Nous sommes à l’aube de ce qui s’apparente à une 4ème révolution industrielle. Il ne s’agit ni de conjecture ni de buzz, mais bien d’une réalité qui est déjà en marche. Cette révolution va se caractériser par un changement fondamental qui nous fera passer d’un monde de règles à un monde d’apprentissage, une rupture totale de notre système à l’image de l’apprentissage du feu à l’époque de la préhistoire. Ce transfert entre un groupe d’individus et un système s’articule autour de trois notions : le savoir (la connaissance), le savoir-faire (l’expertise) et le savoir-être (le qualitatif et l’émotionnel). Or, cette rupture (l’IA), contrairement à de nombreuses idées reçues est éminemment humaine et rien de plus qu’humaine. Elle est définie, animée et supervisée par des Hommes. Autrement dit, ce n’est pas une révolution numérique, mais une révolution humaine. Sommes-nous prêts ? Non, car ce « nouveau système », nous place dans une zone d’inconfort et d’inconnu. Il va nous suggérer des informations que l’on n’avait pas prévues. En France, nous sommes encore des « obsédés » des algorithmes avec une vision encore très académique. Or, l’intelligence artificielle est une science cognitive basée sur le langage, la reconnaissance visuelle, la gestion du savoir, le raisonnement, l’empathie et pas seulement les mathématiques. Autrement dit, l’intelligence artificielle repose sur deux piliers. D’une part, les datas autour du corpus d’information que l’on ingère autour d’un système. Et d’autre part, l’apprentissage, car les machines ne fonctionnent qu’avec le concours d’hommes et de femmes qui vont passer beaucoup de temps sur l’apprentissage. Face aux enjeux de l’empathie, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Actuellement, nos solutions permettent de capturer et de qualifier des conversations et des émotions : vulgaires, familières… mais la marge de progression pour atteindre l’empathie est encore immense ».

Pour Didier Farge, Président de Conexance, dans une traduction marketing, « l’IA va bouleverser la prédiction de nos comportements, et le fait d’être capable de les prédire va bouleverser nos habitudes à travers une approche dans le ciblage marketing plus pertinente, notamment à travers le maching learning, qui est une partie intégrante de l’IA. L’IA n’est plus un buzz word ,cela devient l’affaire du CEO et du marketeur autant que du data scientist, chacun comprenant qu’elle est l’une des clés majeures de l’expérience client et de la personnalisation. L’intelligence artificielle est devenue une notion mobilisatrice et marque une façon de penser et d’envisager le futur  ; pour preuve Google qui après avoir été la search company, puis la mobile first company, se veut aujourd’hui l’IA first company. Ou Facebook qui a mis l’IA au cœur de ses recommandations en pratiquant ouvertement la reconnaissance faciale et qui la priorisation des Contenus en fonction des Centre d’intérêts pour ne parler que de cela. L’usage de l’IA devient massif dans l’industrie et le B to B. Dans le B to C, les praticiens du marketing s’intéressent à certains de ses champs d’application : les protocoles de langage naturel, le machine learning, le prédictif, le visual computing, l’interprétation des données non structurées. La voix, entre autres, constitue l’un des champs les plus prometteurs. Toutes les enseignes s’emparent du sujet. Facebook double ses investissement dans son laboratoire IA parisien. Pas une seule enseigne de communication n’investit pas sur le sujet et les plateformes d’intégration qui intègrent le matching learning combiné à des algorithmes prédictifs permettent enfin une meilleure prédiction et donc un ciblage juste, précis et efficace. Nous allons enfin pouvoir proposer la bonne offre au bon moment par le bon canal. Nous adresserons mieux et enverrons moins de messages. Quoi de plus frustrant que de recevoir une proposition pour sa retraite alors que l’on est jeune actif ? Ou une offre de voiture alors qu’on vient d’en acquérir une neuve ? Le matching learning permettra d’identifier les moments de changement de vie (achat d’une résidence, naissance d’un enfant, changement professionnel ou géographique, accident de la vie, etc.) et d’agir en conséquence. Il est donc nécessaire que les entreprises investissent, apprennent de leurs clients afin de mieux les connaître pour leur apporter le juste message voire même anticiper leurs prochains actes d’achat. Et cet apprentissage se fait maintenant de manière « apprenante » Par la combinaison de plusieurs données, notamment first party et transactionnelles et d’algorithmes, les entreprises devront détecter les signaux faibles et s’assurer de ne pas faire fausse route dans les interprétations ».

Pour Pierre Charara, Directeur du CETIA de Tessi : « L’intelligence artificielle a atteint une maturité qui lui permet des utilisations concrètes. Elle a commencé à bouleverser notre quotidien à travers les aides de tout genre pour nos portables, nos voitures, assistants vocaux, … L’IA permet de remplacer l’humain sur des tâches répétitives, sur lesquelles l’humain génère le plus d’erreurs d’ailleurs. L’IA permet ainsi à l’humain de se concentrer sur les tâches d’analyse et de décision. Les entreprises ont bien compris cela et ont tout intérêt à l’exploiter afin d’améliorer leur efficacité et fournir un service de meilleure qualité ». Comment le secteur est-il organisé ? Quels sont les secteurs à la pointe et les développements concrets ? Peut-on parler d’une guerre de l’IA ?

Pour Jean-Philippe Desbiolles, trois grands domaines sont concernés. « Tout d’abord, l’expérience client, qui va nécessiter de repenser toute l’interface homme-machine à travers l’IA. Que ce soit sur les sites internet, les mobiles, etc … la reconnaissance du langage va profondément modifier la manière dont les hommes vont interagir avec les machines. Concernant la transformation de l’expérience client, nous allons vers une hyper-personnalisation et hyper-contextualisation. Ensuite, l’amélioration du capital humain ou « intelligence Augmentée » permettra d’augmenter l’assistance aux hommes et aux femmes dans leur travail. Elle permettra pour des avocats, des médecins, des consultants d’intégrer des domaines de compétences sur de la capitalisation d’information. Ce chantier est colossal. Enfin, le « processus apprenant » avec le RPA (Robotic Process Automation) autrement dit, l’intelligence développée pour les robots pour qu’ils entrent en processus d’apprentissage est en pleine expansion. Dans ces trois domaines, tous les secteurs sont touchés, à la fois en horizontal et en vertical. S’il est vrai que l’IA a en premier lieu intégré les grands groupes puis les PME, la question de la taille de la structure n’a plus de sens aujourd’hui : Quelle que soit l’entreprise, sa taille ou son secteur, elle est ou sera concernée. La question qui se pose est celle de son agilité et de sa rapidité à s’emparer de l’IA et à former ses collaborateurs ». Jean-François Gomez, va dans le même sens. « On ne peut pas parler de guerre de l’IA, mais d’une course de vitesse pour avoir l’algorithme le plus performant, le plus grand nombre de données collectées et le service le plus innovant pour capturer les marchés. L’IA, c’est aujourd’hui un travail de partage, d’ouverture, d’open source. La technique se partage, mais pour l’usage, c’est une véritable course. L’IA participe à l’émergence d’écosystèmes (food techn, agritech…) souvent transverse aux industries traditionnelles ».

Pour Pierre Charara : « Il faut effectivement faire une observation par secteur car les enjeux ne sont pas les mêmes, de même pour la criticité : introduire de l’IA dans une voiture pour qu’elle soit autonome est plus exigeant que d’aider à automatiser des tâches de saisie ou répondre à une question dans un FAQ. L’engouement des tous les acteurs, éditeurs et clients est complet. Le RPA est maintenant banalisé, ainsi que le Chatbot même si ces technologies nécessitent encore un savoir-faire pour obtenir de bons résultats. La prochaine vague à venir sera l’exploitation avancée de la voix dans les échanges homme-machine, nous avons déjà des projets en cours sur ce sujet. Les technologies autour de la voix et de l’interprétation du langage naturel sont assez avancées, les applications vont se diversifier pour devenir de plus en plus efficaces. La « guerre de l’IA » est bien là. Comme tout nouveau phénomène il y a un engouement et même un emballement. Un assainissement va s’opérer inévitablement pour ne conserver que les meilleures technologies et sur lesquelles nous allons pouvoir construire l’avenir ».

Selon Forbes, les 5 tendances de l’IA en 2019 seront : des puces alimen-tées par l’intelligence artificielle, l’Internet des objets et l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, l’essor de la reconnaissance faciale, la montée de l’automatisation. Quel est votre avis sur l’un ou plusieurs points ?

« Concernant l’internet des objets, explique Jean-François Gomez, on constate une explosion de la capture des données. C’est un sujet stratégique autour d’un volume de données très important rendu nécessaire par un l’apprentissage. L’essor de la reconnaissance est un véritable sujet symptomatique du respect des liberté. Elle est plus efficace qu’une reconnaissance humaine et permet de traiter des volumes importants. Quant à la montée de l’automatisation, elle concerne tous les métiers. Que ce soit le cols blancs ou les cols bleus,  … , tout le monde sera concerné ».

Et Jean-Philippe Desbiolles de poursuivre : « l’automatisation se réinvente avec la cognitive automatisation. L’IA et la data science plateforme permettent de réunir le monde de l’analytique avec le Machine Learning. Les systèmes d’informations sont entièrement restructurés autour du prisme de l’IA et de la data impliquant de facto des changements radicaux dans les process métiers. L’entreprise devient apprenante face à un client apprenant qui se transforme aussi. C’est une histoire de stratégie, d’organisation, de Ressources Humaines et de process métiers. Si ces quatre points ne sont pas reliés, cela ne fonctionnera pas. Enfin, si la reconnaissance faciale est un véritable enjeu d’actualité, il ne faut néanmoins pas oublier la reconnaissance vocale qui présente des potentialités énormes ».

Pour Didier Farge, l’Internet des objets amène à les repenser. «  Une voiture n’est plus seulement un véhicule pour se déplacer mais devient un collecteur de datas et un support de conversation avec les marques. L’automatisation est également au cœur de l’IA en redonnant à la scénarisation de la relation client toute sa force, Amazon a été précurseur dans ce domaine et maintenant toutes les enseignes peuvent se doter d’une solution de « Marketing automation » intégrant un module apprenant de recommandation produit. Pour y arriver, l’enjeu est la constitution d’une base de données unique associée à un ID graph identifiant les canaux on et off line qui permettent d’échanger de manière uniforme avec le client quel que soit son device, son canal et le moment. Quant à la reconnaissance faciale, il faut faire attention aux dérives. Dans certaines villes de Chine, par exemple, lorsqu’un piéton ne respecte pas un passage protégé, son visage est affiché dans la rue et il reçoit une amende directement chez lui. Mieux, KFC anticipe ses commandes en fonction de la reconnaissance faciale, et il y a même des utilisations dans les toilettes publiques pour anticiper le vol de papier hygiénique ».

Pour Pierre Charara, «  l’apprentissage automatique est une technologie très efficace pour classifier les documents et extraire les données dans des documents non structurés avec des formats innombrables, comme les bulletins de salaire, les factures, etc… Les technologies classiques d’extraction (LAD/RAD) avaient atteint leur limite pour ce type de document et les développeurs devaient assurer un travail de maintenance important. Avec l’apprentissage automatique, le système, une fois paramétré, est capable d’apprendre en observant le travail des experts métier sur la base d’un échantillon de documents non exhaustif. Avec cette technologie, la maintenance en développement est réduite et les résultats sont stables et meilleurs. La reconnaissance faciale est une technologie très prometteuse car elle permet de sécuriser les techniques d’authentification pour accompagner la démocratisation de la signature électronique en France et en Europe. L’automatisation à travers de la robotisation (RPA) est au cœur du traitement des processus Back-Office et Front-Office. Il est vrai qu’elle est là pour pallier la difficulté de changement des SI historiques, elle permet une souplesse et une rapidité de déploiement incontournable pour certains projets. Mais attention il ne faut surtout pas l’opposer systématiquement aux SI déjà en place ou ignorer les possibilités d’optimisation inhérentes aux processus métier. Il faut avoir une approche pragmatique et faire le bon dosage entre optimisation de processus, amélioration du SI et automatisation ».

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