DigitalMag

RAJA / Danièle Kapel-Marcovici, une femme engagée

RAJA / Danièle Kapel-Marcovici, une femme engagée

RAJA a été fondée en 1954 par votre mère Rachel Marcovici et Janine Rocher. Pouvez-vous nous expliquer le pourquoi de cette création ?

Ma mère a créé l’entreprise en 1954. Elle avait alors 40 ans. A l’époque, les stigmates de la guerre étaient encore visibles, et peu de femmes entreprenaient. Si elle avait travaillé en vendant des vêtements avec ses parents avant la guerre, elle a fait le choix après avoir eu trois enfants de ne pas rester à la maison ou de travailler dans un bureau, comme beaucoup de femmes à l’époque. C’était une femme en quête d’indépendance.

Elle a donc choisi le métier de commerciale au début des années 50 chez un petit distributeur de papier et de carton et comprit ainsi l’importance les besoins d’emballage des petites entreprises parisiennes. Elle créa donc, avec Janine Rocher, épouse de l’associé de mon père qui possédaient tous deux un atelier d’enseignes métalliques, une entreprise de vente de cartons d’emballage neufs et de réemploi. La société Cartons Raja était née (RAJA est l’acronyme des deux premières lettres des prénoms des fondatrices). Janine partit, ma mère en prit rapidement la direction et développa son activité, de manière audacieuse et moderne pour l’époque. Femme de terrain, elle débuta avec une petite équipe sans jamais délaisser son rôle de commerciale. Sa vie professionnelle était auprès de ses clients et la gagner était la clé de l’autonomie.

Mon père intégra l’entreprise rapidement. Lui, homme de bureau et ma mère, femme de terrain. Mon père n’avait pas le commerce dans l’âme. C’était un homme de rigueur, qui assurait la gestion de l’entreprise avec fermeté. A l’inverse, ma mère débordait d’idées, de projets et d’ambitions, et avait une vision du développement des Cartons Raja, qui emportait l’adhésion de toute son équipe commerciale.

Durant 20 ans, main dans la main, mes parents ont fait grandir l’entreprise. Il recrutait de nouveaux salariés, pendant qu’elle innovait dans l’offre. C’est dans ce contexte que j’ai grandi et c’est avec cette image de femme entreprenante que je me suis construite et que j’ai forgé mes convictions les plus profondes…

Vinrent les années 70 et leurs cortèges de révolutions sociales auxquelles j’ai pris part. Comment ne pas prendre part à des activités de militantes féministes avec une mère avant-gardiste  ? Car c’est à ses côtés, que j’ai débuté ma carrière, dans l’équipe de vente. Durant mes 10 années sur le terrain, j’ai appris le métier de la vente, développé mon sens du commerce et compris l’importance de la qualité des produits et du service aux clients. Ces principes fondateurs ont guidé l’entreprise dès ses débuts.

En 1975, j’ai quitté l’équipe de vente et j’ai accepté à la demande de ma mère de créer un département marketing et publicité et aussi de prendre en charge le développement de l’offre produits. Forte de mon expérience commerciale, j’ai créé et développé le premier catalogue de vente par correspondance de fournitures et d’équipements d’emballage pour les entreprises en France.

Pour l’époque, c’était une véritable innovation  ! Progressivement, j’ai investi et pris la responsabilité de tous les domaines de l’entreprise : recherche de nouveaux produits, définition de la politique commerciale et marketing, informatisation, les achats, l’extension des entrepôts. Au début des années 1980, mes parents m’ont confié la direction générale de l’entreprise, en me laissant une grande liberté d’action. Quel challenge ! J’ai abordé et assumé cette responsabilité avec enthousiasme et volontarisme. Pour développer l’entreprise, j’ai élargi l’offre produits, multiplié la diffusion des catalogues pour conquérir plus de clients, agrandi le centre de distribution, organisé une équipe de direction et structuré l’entreprise tout en respectant son ADN, le respect du client et la qualité du service.

Vous avez repris les rênes de RAJA, passant de 160 collaborateurs à plus de 1600. Quelles ont été les dates charnières de l’entreprise ? 

A la direction de l’entreprise, j’ai introduit des techniques modernes et innovantes de vente et de marketing, inspirées des pratiques du BtoC et du BtoB d’autres secteurs d’activité que j’ai adaptées au marché de l’emballage. J’ai élargi les équipes de vente par téléphone, renforcé la vente terrain, construit de nouveaux entrepôts, diversifié nos catalogues et recruté de nouveaux collaborateurs. C’est une période durant laquelle l’innovation a joué un rôle important avec la mise en place d’une gamme d’emballages postaux, l’introduction sur le marché de la première pochette matelassée RajaMousse, le développement d’une offre technique de calage et de protection, de films étirables pour la logistique et d’accessoires de palettisation. Cette offre a constitué une gamme unique, disponible sur stock et livrée en 48 heures sur toute la France.

A la fin des années 80, les Cartons Raja étaient devenus le premier distributeur d’emballages par catalogue en France. Au début des années 90, j’ai décidé de changer le nom de l’entreprise, les Cartons Raja sont devenus RAJA, décision motivée par la volonté de diversifier l’offre emballage vers d’autres gammes de produits  : la Manutention/ Stockage et l’Equipement d’Atelier, l’Entretien et l’Hygiène, la Fourniture de bureau et une gamme de sacs pour les boutiques. Enfin, les années 90 ont été marquées par deux grandes étapes. C’est à cette époque que j’ai lancé l’internationalisation et démarré la première phase de ce qui deviendra le Groupe RAJA. L’entreprise avait beaucoup grandi, notre business model était solide et rentable. Nous avions conquis le marché français et j’étais portée par une volonté de conquérir l’Europe.

En 1994, j’ai acquis la société Binpac en Belgique qui a servi de laboratoire et de tremplin à ce développement. Cette réussite nous a donné confiance pour aborder les autres pays européens. Notre aventure internationale commençait à s’écrire. Dès 1997 nous avons démarré notre activité aux Pays-Bas, puis en  Allemagne  (1999), et successivement en Espagne (2003), en Autriche (2004), en Italie (2006), en  République Tchèque  (2007), en  Suisse  (en 2008), en  Suède (2012). Et en 2016, nous avons lancé notre activité en Slovaquie et au Portugal. Mais nous avons également acquis des entreprises comme la société AidPack en Grande-Bretagne en 1998, ainsi que Postemballasje en Norvège et Crosstrade en Pologne, plus récemment en 2010.

Afin de renforcer nos parts de marché en France, nous avons acquis également en 2010, la société Cenpac, filiale du groupe Gascogne, acteur national majeur de la distribution d’emballage, avec un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros et 400 collaborateurs. Cette acquisition nous a apporté des complémentarités fortes avec une importante présence régionale constituée d’un réseau d’agences commerciales, une force de vente de près de 100 commerciaux. De plus Cenpac nous a amené une clientèle de gros consommateurs de fournitures et machines d’emballages en particulier dans la grande distribution et le secteur industriel. Bien entendu nous avons saisi l’opportunité de développer de nombreuses synergies en termes de politique Achats, d’investissements, d’outils et de compétences. Dans le cadre de notre stratégie de diversification, nous avons fait l’acquisition de l’Equipier, spécialiste en vente à distance de l’Hygiène et de l’Entretien en 2007, puis de Welcome Office, n°1 du discount aux entreprises de Fournitures et Mobiliers de Bureau sur internet en 2008.

Les années 90 sont également marquées par l’acquisition à la société Honeywell Bull d’un grand site sur le parc d’activité de Roissy Charles de Gaulle, à 10 kms au nord de Paris. Cet ensemble de bâtiments d’entrepôt et de bureaux nous a permis d’envisager l’avenir en grand. Le site est aujourd’hui le siège social européen du groupe et le plus grand centre de distribution d’équipements et de fournitures d’emballages en France et en Europe avec 50 000 m² de surface de stockage. En 2000, j’ai pris le virage de l’internet avec le lancement de notre premier site marchand. Aujourd’hui la plateforme internationale accueille les 21 sites e-commerce et réalise 40 % des ventes du groupe. La mise en place d’une digital factory et la technologie nous permettent de faire évoluer en permanence tous nos sites et de proposer à nos clients des fonctionnalités au plus près de leurs besoins professionnels  : solution mobile, système d’e-procurement etc. Avec les catalogues et cette force digitale, nous répondons à l’exigence de nos clients proposant une large offre conforme aux indispensables critères de qualité des produits, des livraisons et des services.

Quel est votre meilleur souvenir chez RAJA ? Et le pire ?

C’est sans hésitation, l’acquisition de la société Binpac en 1994 en Belgique. C’est à la fois mon meilleur et mon pire souvenir. Le meilleur car cette société représentait notre premier pas à l’international et le pire car les difficultés ont été nombreuses afin de mettre en place notre business model Raja, difficultés que nous avons rapidement surmontées.

Comment imaginez-vous l’avenir de l’entreprise ?

L’avenir de l’entreprise et les projets qui l’accompagnent sont ambitieux et s’inscrivent dans la durée. Pour assurer la croissance du groupe, nous allons poursuivre le développement d’une stratégie marketing et commerciale dynamique et innovante fondée sur la recherche constante de valeur ajoutée pour nos clients. Nous voulons consolider notre position de leader européen de la distribution d’emballages et poursuivre notre stratégie de diversification.

Ainsi en 2015, nous avons acquis la société Morplan au Royaume-Uni, entreprise leader sur le marché de la vente à distance de fournitures et équipements pour les magasins avec 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cette acquisition nous a permis de doubler notre volume d’activité en Grande-Bretagne et d’acquérir des compétences sur de nouveaux produits et une nouvelle clientèle. L’année dernière, j’ai acquis le Groupe Allemand Bär, acteur majeur avec un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros sur le marché de l’équipement et des fournitures industrielles pour l’entreprise (atelier, stockage, bureau, entrepôt…) en Allemagne, Suisse et Autriche.

Ces deux acquisitions constituent un potentiel de développement important sur le marché européen et une nouvelle étape dans l’élargissement de notre offre. Le groupe investit massivement dans la logistique avec 210  000 m² de surface de stockage afin d’offrir un choix encore plus vaste de produits à nos clients et de les livrer encore plus rapidement. D’ici l’année prochaine, nous allons lancer une place de marché européenne, RAJAMarket, qui proposera la plus grande gamme de fournitures d’emballages et d’équipements pour les entreprises et les magasins avec plus de 200 000 produits. Pour être au plus près des besoins de nos clients et de notre clientèle grands comptes en particulier, une solution de Gestion de la Relation Client, un référentiel produits et une base de données communs aux sociétés du groupe sont en cours de développement. Nous faisons évoluer en permanence l’organisation du groupe afin de travailler différemment, de manière plus souple, plus agile, plus transversale. J’ai toujours eu la conviction que la qualité des femmes et des hommes constituait le facteur principal de réussite de l’entreprise. Un de nos grands défis pour l’avenir est de renforcer les actions pour fidéliser nos collaboratrices et collaborateurs, recruter de nouveaux talents et enrichir la relation humaine.

Pensez-vous à la transmission ?

Je pense que les choses doivent se préparer mais aussi qu’elles doivent se mettre en place naturellement. Il n’y a aucune urgence pour le moment sur ce sujet. Mes collaborateurs n’ont pas envie de me voir partir (rire). Et tant que la passion et l’énergie sont là, je continue de présider et diriger cette entreprise.

Vous êtes une femme engagée et avez créé la fondation RAJA-Danièle Marcovici. Pourquoi ? Quels sont les objectifs ?

J’ai toujours considéré que l’entreprise avait non seulement une vocation économique mais aussi sociale et sociétale. En 2006, fidèle à mes convictions et à mes engagements de jeunesse, j’ai donc décidé de créer une fondation pour les femmes, sous l’égide de la Fondation France, et qui agit en France et dans le monde. La Fondation RAJA-Danièle Marcovici soutient des projets associatifs en faveur des femmes et depuis sa création, nous avons soutenu plus de 250 associations et co-financés plus de 400 projets dans 3 domaines  : l’éducation et l’action sociale, le droit des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes, la formation et l’insertion professionnelle. Depuis 2015 nous avons également lancé dans l’entreprise un programme de produits partage « Femmes et Environnement » afin de financer des projets autour de l’agriculture. Depuis 2013, nous avons également lancé un programme «  RajaPeople  » qui implique les collaboratrices et collaborateurs de l’entreprise (micro-don, mécénat de compétence …).

Grande mécène de j’art, vous avez également fondé la collection RAJA autour de l’art et l’emballage. Pourquoi cet engagement ? Et comment de concrétise-t-il ? 

Passionnée par l’art contemporain, J’ai constitué depuis 20 ans une collection en lien avec notre métier. En effet, de nombreux artistes et depuis fort longtemps se sont emparés des matériaux d’emballage pour leur création. Aujourd’hui nos collaboratrices et collaborateurs vivent et travaillent au contact de plus d’une centaine d’œuvres, photos, sculptures, peintures, gravures et collages. L’art stimule les esprits la créativité, invite au rêve, à la réflexion, aux échanges.

Cette collection qui promeut de nombreux artistes, est également une façon de valoriser les matériaux que nous vendons tous les jours. En parallèle, j’ai créé, en 2010, avec mon compagnon Tristan Fourtine, la fondation Villa Datris située à l’Isle-sur-la-Sorgue près d’Avignon. Nous avons eu un coup de cœur pour une grande demeure provençale de la fin du 19ème siècle et notre projet qui s’échafaudait a trouvé son espace pour se concrétiser – avec l’inauguration de la Villa Datris en 2011.

Nous avons décidé de consacrer ce lieu à la sculpture qui traduit notre goût pour une certaine forme de liberté que cette expression artistique incarne. L’art du volume induit espace, déplacement, mouvement, diversité des points de vue. La Villa Datris, fondation privée, ouverte gratuitement, a pour objectif de faire découvrir à tous les publics la sculpture contemporaine en organisant une grande exposition thématique chaque année. Cette année le thème choisi est  «  Tissage-Tressage, quand la sculpture défile  », qui invite à découvrir près d’une centaine de sculptures textiles réalisées par 70 artistes.

Chaque année, près de 40 000 visiteurs découvrent l’exposition. Et cette année, La fondation Villa Datris a ouvert un nouvel espace, l’Espace Monte Cristo à Paris, dans lequel mon fils Jules Fourtine organise des expositions temporaires des œuvres de la collection de la fondation Villa Datris.

Cet article vous a plu ? partagez-le :

Abonnement à la formule intégrale !

Le magazine Édition digitale sur ordinateur, mobile et tablette
Je m'abonne
Abonnement