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Les SmartContract, un potentiel qui mérite attention.

Les SmartContract, un potentiel qui mérite attention.

Au commencement, au début 1990, naissait le web, version 1.0 et qualifiée de « One to Many ». Un diffuseur unique vers des multiples consommateurs passifs. On est dans un monde où, bien qu’appuyé sur un réseau distribué, gouvernance et production de contenu restent centralisés. Les années 2000 voient apparaître les réseaux sociaux, c’est le web 2.0, avènement du « Many-to-Many » : tout le monde se met à causer à tout le monde. Un début de décentralisation. Mais elle n’est qu’apparente : même si les productions de contenu sont distribuées, en donnant la parole à tous et à toutes, les plateformes qui les supportent, les réseaux sociaux, conservent des gouvernances centralisées et représentent des intérêts privés. C’est donc surtout les approches « Peer-to-Peer » qui donnent naissance, à la fin de cette décennie, au bitcoin et son paradigme de chaine de blocs, promesse d’une totale décentralisation de la production de contenus et de leur gouvernance.

Le concept s’appuie alors sur des principes déjà installés : la cryptographie asymétrique d’une part, hautement sécurisée et popularisée par la tombée dans le domaine public du chiffrement RSA[1], et une décentralisation transparente offerte par les protocoles Peer2Peer d’autre part (eDonkey, BitTorrent,…),. La construction algorithmique de Satoshi Nakamoto, créateur du Bitcoin, s’appuie donc sur ces deux sous-jacents : des nœuds dispersés sur le réseau, qui vont s’unir pour composer une solide chaine de données. Les liens qui unissent ces nœuds sont déjà des contrats : des formes d’engagements réciproques et rémunérés… en Bitcoin !.

Mais en allant plus loin, c’est à Vitalik Buterin, dont on attribue la paternité d’Ethereum, qu’on doit l’idée de donner à l’actif inséré dans la blockchain, une forme d’intelligence, le dotant à minima de moyens d’interactions, de validation ou d’autocontrôle. C’est ce qu’il a nommé SmartContract ou Contrat Intelligent. Si le concept peut paraître délicat à appréhender pour le novice, la publicité faîte ce derniers temps autour des NFT permet de le comprendre un peu mieux.

Ainsi, sur le plan technique, ces NFT sont des SmartContract, objets conçus pour exister de manière autonome dans une BlockChain. Une fois qu’ils sont créés, ils peuvent poursuivre leur vie tout seul, en opérant eux-mêmes les actions nécessaires à leur existence dans l’écosystème dans lequel ils ont été initiés. En pratique, un NFT est donc simplement une chose qui intègre des données (son nom, sa ressource cible – une image, un fichier, un texte…-, son créateur, son propriétaire et voire tous ceux qui l’ont précédé) mais aussi des méthodes pour gérer ses propres transactions : identifier les parties en présence, constater sa vente, acter du transfert de fonds en cryptomonnaie entre l’acquéreur et le vendeur, et bien sûr tout ça de manière irréfutable et sécurisée, et surtout sans intermédiaire.

Une approche réellement disruptive

Si le phénomène NFT est intéressant pour appréhender le procédé, il reste réducteur quant au développement qu’il peut représenter. Car les SmartContracts sont voués aussi et surtout à être des composants d’applications distribuées nommées DApps, pour Delegated Applications. Ces derniers seraient des sortes de logiciels bâtis comme des puzzles ou des Légos, chaque pièce étant supportée par des nœuds dispersés sur le réseau. Encore une fois, sauf à être architecte/concepteur/développeur d’application, cette description peut rester confuse. Mais pensez juste qu’avec cette approche, c’est la mort à terme des AWS, Google Apps ou Microsoft Azure, ces géants du cloud et de l’hébergement applicatif, car ils n’auront plus de raison d’être… Bon, d’accord, le raccourci est violent mais gardez cette vision cible à l’esprit : tout le réseau pourra héberger des applications et il n’y aurait plus nécessité de s’appuyer sur des opérateurs dédiés.

Des freins peut être indépassables

On en est cependant aujourd’hui, il faut l’admettre, qu’aux prémices de ces évolutions : le procédé comporte en effet de multiples limites qui freinent son développement.

Des limites intellectuelles d’une part : construire de nouvelles applications selon ce nouveau paradigme nécessitent de lourdes remises en question, à commencer dans les modèles de pensée des développeurs (dont je fais partie) !

Des limites héritées de la technologie Blockchain ensuite : rappelons les piètres performances énergétiques du procédé, lié notamment aux opérations énergivores de minage, auxquelles il faut ajouter une certaine latence endogène : la composition des blocs, et donc leur validation, étant organisée par cycle périodique (de 10 min. par exemple pour le Bitcoin), imaginer une transaction en temps réel par ce procédé reste utopique. Pour ceux qui veulent apprécier ces cycles, jetez juste un coup d’œil ici : https://txstreet.com/v/eth-btc , c’est hypnotique et fascinant.

Il faut ajouter à cela une instabilité permanente et native des coûts de transaction (et oui, exécuter un SmartContract a un cout, appelé « gas », ou carburant) : comme sur un marché des changes agité, valider un contrat à un instant T peut coûter 40% de plus (ou de moins) qu’à la seconde précédente, car aucune régulation organisée de l’offre et de la demande n’est prévue : c’est le concept ! Quand il s’agit d’acheter manuellement un NFT, il faut juste placer l’ordre au moment opportun en fonction d’un taux de change observé à la volée. Quand il s’agit de process autonomes, c’est plus compliqué à gérer.

Autre aspect, la nature d’objet autonome inscrit de manière intangible dans la blockchain d’un SmartContract peut causer des soucis à son créateur. Une fois intégré à la blockchain, il n’est par définition non modifiable de l’extérieur : quid alors de sa maintenabilité et de la capacité de son concepteur à le réviser, soit en pratique : aucune ! Imaginez le cauchemar : un bug dans un NFT mal conçu qui exécute en boucle un transfert de crypto entre l’acheteur et le vendeur sans pouvoir l’arrêter.

Autre difficulté, la dispersion des réseaux support. Bien qu’on ait pris un peu rapidement l’habitude de dire « La » blockchain, il ne faut pas oublier qu’elles sont en fait multiples. Aussi nombreuses que les cryptomonnaies dont c’est le fondement, soit plus de 15000 selon un décompte de CoinMarketCap en 2021. Bien sûr, elles n’abritent pas toutes des SmartContract mais on peut facilement entrevoir la problématique.

Enfin, last but not least, les connexions avec le monde réel restent difficiles : constater grâce à un SmartContract de manière fiable le transfert d’un fichier numérique est chose aisée ; constater la livraison effective d’une marchandise réelle, sur un quai, un camion ou dans un magasin, en est une autre. A ce jour, peu de solutions techniques solides semblent en effet exister. Bien des technologies, au fil de l’histoire, ont interpellé leurs contemporains, restant douteux de leur intérêt et/ou de leurs développements futurs. Ces SmartContracts en font probablement partie. Mais il ne faudrait pourtant pas les négliger, parole d’un initié, qui, avouons-le, comme tant d’autres, a snobé le bitcoin à l’époque où il ne valait pas 1 $.


[1] Algorithme de chiffrement conçu en 1977 par Ronald (R)ivest, Adi (S)hamir et Leonard (A)dleman, brevet du MIT, qui a expiré le 21 septembre 2000.

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