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METAVERS ET RETAIL, quelles perspectives ?

METAVERS ET RETAIL, quelles perspectives ?

Un peu occultés par la déferlante ChatGPT, les Metavers s’installent peu à peu dans notre univers numérique. Pour y voir plus clair, j’ai interrogé Nathalie BADREAU (*), spécialiste des mondes immersifs et conférencière, pour en connaître les perspectives appliquées au retail.

Laurent TEDESCO : On entend beaucoup de choses autour des métavers, pouvez-vous nous préciser quelle est votre vision du concept ?

Natalie BADREAU : Il y a de telles confusions autour de ce mot qu’il est en effet important de définir le contour du concept. Il repose sur le fait de « vivre des expériences 3D en temps réel via son avatar ». Cela peut se faire via une console de jeu, un smartphone, un ordinateur ou un casque de réalité virtuelle. Le point clé est que l’expérience a lieu dans un monde virtuel persistant c’est à dire qui ne s’arrête pas de vivre lorsque vous le quittez. Il existe une multitude de métavers, dans lesquels on peut se rendre pour jouer, socialiser, se divertir, travailler et… consommer. Certains de ces univers immersifs sont adossés à la blockchain qui permet d’acheter des biens dématérialisés ou NFT et appartiennent au web3.

L.T : la démarche de développer une vie parallèle « virtuelle » semble être déjà une vieille histoire, on pense à SecondLife d’il y a 20 ans maintenant, quelles sont les différences avec aujourd’hui ?

N.B : Oui en effet, les mondes immersifs ont plus de 20 ans, et Second Life en est en quelque sorte le doyen. Beaucoup parlent d’échec lorsqu’ils s’y réfèrent et ne comprennent pas pourquoi on semble aujourd’hui « refaire du neuf avec du vieux » … Une simple mise en perspective des avancées technologiques depuis 20 ans, comme la convergence de la puissance de calcul des ordinateurs, du haut débit, des infrastructures, de la 3D, VR, AR, MR, nous permet de comprendre que Second Life est arrivé technologiquement « trop tôt ». Mais la plateforme n’a pas vraiment disparue et trouve aujourd’hui une seconde jeunesse, car la tech est là pour honorer la promesse de cette « vie parallèle » virtuelle et synchrone, sans temps de latence.

L.T : Même si l’agitation de META l’année dernière peut être perçue comme un signe, le secteur semble encore difficile à appréhender : quels sont les enjeux économiques et financiers déjà connus à ce jour ?

N.B : D’ici 2030, le métavers pourrait générer entre 4 000 et 5 000 milliards de dollars à travers les usages des consommateurs et des entreprises selon le cabinet McKinsey. Le metavers apparaît comme la plus grande opportunité de croissance pour plusieurs industries au cours de la prochaine décennie, étant donné l’ampleur des applications et utilisations potentielles et le degré d’investissement des grandes entreprises technologiques, du capital-risque, des sociétés et des marques. Les entreprises mettent déjà en œuvre des initiatives liées aux métavers, bien que la plupart des efforts déployés à ce jour aient été centrés sur le marketing.

L.T : on observe que le public des métavers est encore assez « geek », plutôt fans de jeux vidéo dont sont l’émanation les Metavers les plus populaires (Minecraft, Roblox, etc.). Comment cette population peut-elle s’élargir à un plus grand nombre d’après vous ?

N.B : Il ne s’agit pas d’élargir la cible à un plus grand nombre, il s’agit d’adresser cette cible ! Ces générations Z et Alpha, qui vivent en moyenne 60 heures par semaine dans des univers immersifs. Alors que les milléniaux font défiler leur fil d’actualités sur les réseaux sociaux, eux se promènent dans des espaces virtuels pour vivre des expériences bien réelles à leurs yeux.
Les concerts virtuels rassemblent des millions d’avatars, et de nombreuses marques de mode se disputent les podiums de la « virtual fashion week » pour habiller ces avatars ; la nouvelle génération de consommateurs se trouve dans ces univers et y consomme déjà ; les mondes immersifs sont remplis de vrais êtres humains dotés d’un pouvoir d’achat bien réel… Il faut juste aller les trouver là où ils sont.

L T : Le commerce physique a souffert – en partie – de la digitalisation des échanges depuis bientôt 30 ans, peut-il alors renaître dans ou avec les métavers ?

N B : Le métavers est une « infinite marketplace », où le champ des possibles n’a aucune contrainte spatio-temporel ! Les marques qui s’y installent l’ont bien compris. Walmart par exemple, le dinosaure de la grande distribution, mis à mal par le commerce en ligne, s’est installé dans Roblox pour y créer des expériences gamifiées qui invitent les gagnants à aller chercher leur lot…en magasin.
Non seulement l’enseigne bénéficie de l’attractivité de la plateforme (66,7 millions de visiteurs par jour) mais elle se redonne une image moderne auprès de jeunes consommateurs qui ne vont plus au centre commercial, et pour qui les sites web sont “un truc pour les vieux”.
D’autres ont choisi de s’adresser au marché de l’avatar, dont l’apparence est aussi importante que sa propre apparence pour ces jeunes. Ralph Lauren, Tommy Highlighter, Nike et bien d’autres ont adopté le « direct to avatar » en créant des collections spéciales pour avatars ajoutant de nouvelles sources de revenus adjacentes aux lignes de produits existantes et en réinventent le schéma traditionnel de distribution (physique) et de chaine de valeur :

– Le déplacement dans le monde virtuel supprime la fabrication physique, la manipulation des produits jusqu’à la vente. Les réseaux de vente physique, le site e-Commerce, la logistique disparaissent partiellement du schéma.

– La consommation immédiate via « l’expérience vécue » offerte par la marque supprime la nécessité de positionner le produit par l’intermédiaire de publicité et de réseaux sociaux.

L T : finalement, les perspectives du retail semblent ouvertes… alors faut-il y aller ?

N.B : Il s’agit tout d’abord dévaluer l’impact d’une telle évolution sur son business avant d’avoir trop de retard ou de disparaître avec son secteur d’origine. En fonction des activités, être présent et communiquer dans ces univers est une réelle opportunité pour les marques qui vont devoir repenser leur narration en trois dimensions, et offrir de nouvelles expériences immersives pour des « prospects avatars » aux codes et usages nouveaux.
Beaucoup d’entreprises sont en phase de « test & learn », tant mieux, parce qu’il s’agit d’être prêt pour la nouvelle génération de consommateurs pour qui le virtuel est déjà bien réel.

(*) Nathalie BADREAU est Coach en influence numérique et cofondatrice du METAVERS LAB de l’ISCOM (https://www.linkedin.com/in/nbadreau/)

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