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Livraisons ultra-rapides : c’était effectivement une fausse bonne idée.

Livraisons ultra-rapides : c’était effectivement une fausse bonne idée.

Avec le placement en redressement judiciaire de Getir, succédant à celle de son principal concurrent rescapé Flink, le modèle de la livraison ultrarapide de proximité semble avoir du plomb dans l’aile. Même si ces acteurs avancent bien souvent des motifs exogènes à leur activité, comme pour s’excuser devant leurs investisseurs, nombre de défauts étaient déjà présents dans le concept initial. Analyse

Apparus il y a un peu plus de deux ans, Flink ou Gorillas fanfaronnaient sur leurs importantes de levées de fonds. Leur offre ? une livraison ultrarapide de vos courses – 10 minutes assuraient-ils -, à partir de quelques clics sur votre smartphone. Mais le service s’est rapidement avéré plus complexe à satisfaire. De nombreuses difficultés se sont effectivement accumulées, à la fois industrielles, commerciales et légales. Elles étaient pourtant largement prévisibles, sans grands efforts d’investigation, dès le lancement de leur service.

Faire fi de la réglementation

Pour commencer, comme de coutume dans l’esprit Startup, il a été fait fi de nombre de contraintes réglementaires. L’approche était sommes-toutes classique : la révolution est en marche, la réglementation suivra inévitablement. C’était ignorer les configurations locales et leur inertie : installer un entrepôt, même d’apparence discrète, au milieu d’une rue en ville avec ses mouvements véhiculaires incessant, entrants comme sortants, à toute heure et plus encore le soir, ne peut se faire sans l’assentiment des voisins, qui plus est pas forcément consommateurs du service. Ce sont eux qui ont bien souvent rappelé qu’il y avait une réglementation sur ce type d’activité – notamment au travers du PLU – et ont même obtenu parfois la fermeture de certains dépôts.

La présence locale est pourtant le nœud gordien de ce business. Assurer une livraison ultra-rapide impose une distance de livraison resserrée, interdisant d’aller s’installer dans une lointaine zone industrielle de banlieue, à l’abri des nuisances. Premier hic.

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient

Fake it before make it, autre mantra de startup : proposer un produit ou un service qui n’existe pas encore ou n’est pas encore déployé, et tu verras après comment le mettre en réalité quand le client aura mordu à l’hameçon. Là aussi, la promesse d’une livraison ultrarapide nécessitait de prévoir des ressources suffisantes, tels livreurs et véhicules, ce qui sous-tends investissements financiers conséquents. Et évidemment, c’est devenu rapidement une lourde contrainte, qui n’a été levée en partie qu’en abandonnant la promesse de rapidité. D’abord en trichant (« 10 minutes à compter du traitement de votre commande » et non de son déclenchement/paiement) puis en l’effaçant purement et simplement en mettant l’accent sur le produit lui-même et l’urgence de sa consommation : une envie soudaine de Nutella ou le besoin pressant de préservatifs.

Le problème est que quand vous supprimez cette notion de timing serré, vous perdez votre principal atout face aux géants de la distribution, qu’ils soient physiques comme Carrefour ou Monoprix, ou on line comme Amazon et maintenant Deliveroo ou Uber eats. Deuxième hic.

Des zones de chalandises antinomiques

Le modèle économique natif, forcément à prix de vente élevés, imposait de s’installer en zone urbaine dense à fort pouvoir d’achat.  La cartographie des zones de couvertures proposées (voir DigitalMag du 7 septembre 2021) se concentraient alors sur certains quartiers de Paris intra-muros – évidemment pas le 19ème par exemple – ou sa proche banlieue à population similaire de CSP+ urbains. Le problème est que bien souvent, le tissu commerçant s’était largement établi sur ces secteurs, avec des amplitudes horaires très étendues, comme certains Carrefour Market ouverts jusqu’à minuit. Apparait alors une bizarrerie : pourquoi faire appel à un service de livraison – nonobstant la paresse du client sur laquelle s’appuie surtout ces services – alors que je peux trouver en bas de chez moi un commerce ouvert dans lequel je pourrai choisir à loisir. A contrario, s’installer en banlieue, dans des zones d’habitations désertées par le moindre commerce, aurait été plus adapté… mais le pouvoir d’achat potentiel n’était surement pas au rendez-vous.

L’occasion ne fait pas le larron

Il faut aussi revenir sur le double terreau sur lequel sont nés ces services et qui expliquent leur déconfiture actuelle : la crise COVID et un modèle de référence probablement inadapté pour la France. Ainsi, même si les principales enseignes sont nées peu de temps avant comme Flink en 2020, elles ont surtout explosé en pleine crise COVID, pour des raisons évidentes à comprendre : commerces fermés et interdictions de circulation. Une fois levés ces blocages, l’intérêt de ces services s’est étiolé naturellement. Mais il y a aussi une autre dimension qui mérite attention, qui dit que ce qui est valable dans un écosystème ne l’est pas forcément dans un autre. Ceux qui fréquentent un peu l’Allemagne et Berlin en particulier – qui a servi en Europe de référence à ces offres et leurs levées de fonds généreuses -, auront observé que le commerce local est un peu différent :  leur nombre, leur densité, leur variété et leur taille n’est en effet pas vraiment ressemblant au notre. Il est alors finalement bien souvent plus pauvre en horaires ou produits, défaut qu’on peut voir couvert aisément par ce type de services dédiés, moins utile chez nous.

Jurisprudence Mac-do

Quand bien même on peut acter que « ça ne peut pas marcher en France », il faut se souvenir du même propos il y a quarante ans sur l’entrée de Mac Donald en France, fief de la gastronomie. Le paradigme a cédé en quelques années et on a finalement adopté le gout du fast-food, comme tous les autres pays occidentaux. Il ne faut donc pas enterrer le principe d’une livraison ultra-rapide de sitôt. Il faut juste envisager qu’elle se normalise, comme c’est le cas actuellement, via des acteurs plus généralistes, comme les distributeurs traditionnels et les plateformes d’achats en ligne.

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